Voici Monsieur le Professeur, l’attitude
du groupe JUSTICIA FAMILY face à la mise en circulation des nouveaux billets.
« L’éclatement de l’unité monétaire
qui pourrait s’ensuivre risque de faire le lit au grand projet de balkanisation
du pays. Les défenseurs de ce projet macabre trouveront dans les dommages
collatéraux de cette réforme une belle occasion d’obtenir ce qu’ils n’ont pas
réalisé par la voie des armes. Reprenant du poil de la bête, ils pourraient
saisir l’opportunité pour consolider l’existence des zones monétaires (division
de facto) et encourager les populations à aller plus loin en exigeant une
autonomie administrative et politique. Ainsi, c’est tout le pays qui court le
risque de disparaître du fait d’une réforme monétaire ».
Dans exactement 18 jours, la RDC élargira
son éventail fiduciaire par l’émission de trois nouvelles coupures de franc
congolais (Fc) : 1 000, 5 000 et 10 000 Fc. Pessimiste, la population est
hantée par l’inflation mais aussi par le spectre de l’éclatement de la RDC en
zones monétaires. A l’instar de ce qui est arrivé en 1993 du fait des réformes
hasardeuses de la 2ème République. Dans le cas d’espèce, les ennemis de la RDC
pourraient saisir cette opportunité pour transformer les espaces monétaires
ainsi créés en zones administratives autonomes. Et l’on est parti pour la mise
en œuvre du projet de balkanisation.
2 juillet 2012. C’est la date prévue pour
le lancement de nouvelles coupures à valeur faciale élevée. Quand bien même le
gouvernement préférerait l’expression valeur faciale «adaptée» la population ne
serait pas disposée à avaler la pilule qu’on lui prépare. Les appréhensions de
cette dernière seraient fondées sur ce qu’elle considère comme «du déjà-vécu».
L’espace monétaire kasaïen, né la réforme de 1993, est encore frais dans la
mémoire des Congolais et ils craignent que la réforme du 2 juillet ne produise
les mêmes effets.
Selon les spécialistes du secteur, la
Banque centrale du Congo (BCC) et le gouvernement devraient relever un défi
majeur, à savoir l’élément confiance, lequel devrait accompagner le processus
en cours.
Optimisme contre incertitude
Il est vrai qu’au niveau de l’Exécutif
national et de la BCC, l’on est convaincu de la réussite de l’opération.
Toutefois, à cet optimisme s’oppose l’inquiétude du public, principal
consommateur de nouvelles coupures. Aussi la BCC se propose-t-elle
d’intensifier sa campagne de communication. Laquelle vise à faire adhérer
davantage la population à la réforme en cours.
Jusqu’à ce niveau, tout est encore théorique,
basé sur des simulations des experts de la BCC qui s’inspire en grande partie
des expériences réussies de 1998 avec le lancement du franc congolais et, plus
tard, de 2003 lorsqu’il a été lancé les coupures de 200 et 500 Fc. Les mêmes
causes produisant les mêmes effets, la BCC exclut tout naufrage au terme de la
réforme du 2 juillet 2012. Elle s’appuie, à ce propos, non seulement sur son
flair de technicien de la monnaie, mais surtout de la bonne santé de la
conjoncture intérieure marquée par une nette stabilité du cadre
macroéconomique.
Toutefois, la mémoire étant un facteur de
comportement, le consommateur congolais – celui-là même qui donne au billet
émis par la BCC la qualité de monnaie – ne cache pas son scepticisme. Il est
convaincu qu’après le 2 juillet, l’édifice de la stabilité macroéconomique
devrait s’écrouler. A ses inquiétudes s’ajoute aussi ce danger de l’éclatement
de l’unité monétaire de la RDC. L’on doit se rappeler, à cet effet, de
l’expérience malheureuse de 1993 où, à la suite d’une «réforme monétaire
politiquement décriée et techniquement mal agencée», les deux provinces du
Kasaï se sont mises en marge en se constituant en une zone monétaire distincte.
Dans l’opinion, l’on craint une résurgence
du démon de 1993. Et la situation sur terrain se prête bien à un tel scenario.
C’est le cas, par exemple, des provinces de l’Equateur, du Bandundu, etc. où de
petites coupures du Franc congolais (10 et 20 Fc), démonétisées de fait dans
les grandes villes, ont toujours cours légale. Or, dans sa stratégie de
lancement de nouvelles coupures du Franc congolais, la BCC a promis de se
concentrer en priorité dans les grandes villes. Il y a donc l’ombre de se
retrouver en face d’une économie à deux vitesses.
D’un côté, il y aura une zone économique
où de petites coupures, pourtant décriées ailleurs, participent dans les
transactions courantes, et une autre, notamment les grandes villes où de
grosses coupures régiront les transactions. Le danger est qu’on va courir droit
vers une désintégration de l’unité économique du pays. Ce qui n’est pas pour
une économie qui cherche à se réorganiser pour prétendre passer dans quelques
années dans les rangs des économies à revenu intermédiaire.
C’est dire que la réforme relative au
lancement de grosses coupures du Franc congolais est un couteau à double
tranchant. Car, non seulement elle ne va pas annihiler le problème de la
dollarisation à outrance de l’économie nationale où 89% sont dénouées en
devises étrangères, mais elle aura l’inconvénient, à terme, de faire perdre à
la monnaie nationale son statut d’attribut de souveraineté.
Point de vue des experts
Bien avant que la BCC n’annonce l’émission
de grosses coupures du Franc congolais, les professeurs Kabuya Kalala et
Tshiunza Mbiye, deux économistes de renom à l’Unikin, ont, six mois auparavant,
dans un article précurseur à l’édition de décembre 2011 de la revue
Congo-Afrique, sonné l’hallali sur les germes de crise qui peuvent naître du
fait d’une mauvaise manipulation de l’arme monétaire. L’intitulé de l’article
est révélateur : «Pouvoir et argent : la crise de la monnaie revisitée en RD
Congo».
Après une remontée dans le temps de toutes
les réformes menées en RDC, ils rappellent qu’ «au-delà du phénomène de
dollarisation qui est commun à la plupart des hyperinflations vécues dans le
monde, il s’est observé en République démocratique du Congo, des formes
nouvelles et insoupçonnées de la crise monétaire». «Par exemple,
poursuivent-ils, «malgré la hausse persistante des prix, le public n’a pas
voulu s’accommoder de la politique intempestive de la Banque centrale d’émettre
des billets à valeur faciale de plus en plus élevées, sous prétexte de
faciliter les transactions et de réduire le coût d’impression de petites
coupures. Au contraire, le public cherchait à détenir de petites coupures
croyant ainsi échapper à l’arbitraire de la taxe d’inflation».
Cette analyse s’inspire de la réforme
monétaire de 1993. C’est vrai qu’en 2011, le contexte est tout à fait différent
; les prix sont stables et les marges de fluctuation du taux de change sont
faibles. Mais, les deux professeurs pensent que la question de la monnaie ne se
limite pas qu’aux seuls aspects techniques. Il y a, estiment-ils, la dimension
de la confiance qui influe fondamentalement sur la capacité de la monnaie à jouer
véritablement son rôle. Bref, c’est sur la confiance que se jouera le succès de
la réforme du 2 juillet 2012. «C’est autour de la confiance que se dessinent
les règles informelles qui fondent le jeu monétaire», relèvent-ils.
La balkanisation en sous-main
L’éclatement de l’unité monétaire qui
pourrait s’ensuivre risque de faire le lit au grand projet de balkanisation du
pays. Les défenseurs de ce projet macabre trouveront dans les dommages
collatéraux de cette réforme une belle occasion d’obtenir ce qu’ils n’ont pas
réalisé par la voie des armes. Reprenant du poil de la bête, ils pourraient
saisir l’opportunité pour consolider l’existence des zones monétaires (division
de facto) et encourager les populations à aller plus loin en exigeant une
autonomie administrative et politique. Ainsi, c’est tout le pays qui court le
risque de disparaître du fait d’une réforme monétaire.
En réussissant en 1998 d’unir l’espace
monétaire congolais, M’Zee Laurent-Désiré Kabila a réalisé un projet qu’il faut
à tout prix préserver. Or, la réforme de 2 juillet prochain aura le grand
désavantage de consacrer de la manière la plus officielle l’évolution à deux
vitesses de l’économie. N’est-ce pas entraîner l’économie nationale au bord du
cataclysme. L’éclatement en zones monétaires pourrait conduire à l’éclatement.
Et la mise en circulation de nouvelles coupures mal négociée pourrait ouvrir la
brèche dans laquelle s’inséreront ceux qui mijotent l’éclatement du Congo par
la remise en cause de ses frontières héritées de 1885.
En encadré, nous reprenons une section de
l’article des professeurs Kabuya et Tshiunza consacrée à «la portée de la
confiance» dans la perception de la monnaie.
La portée de la confiance
C’est autour de la Confiance que se
dessinent les règles informelles qui fondent le jeu monétaire. L’expression
bien connue de «monnaie fiduciaire» indique ce lien entre la confiance et la
monnaie. La confiance dans la monnaie a été très peu étudiée par les
économistes. Sans doute, parce que, comme le pense L. Fémenias, les monnaies nationales
sont, en règle générale assez bien acceptées par les populations. Il est
cependant des cas où la confiance laisse la place à une certaine méfiance
voire, à un certain rejet, ouvrant ainsi la voie à une crise plus ou moins
durable de la monnaie et du système qui l’émet. Déceler les conditions qui
conduisent à une telle situation, c’est déjà entrevoir les domaines dans
lesquels des actions éventuelles de redressement pourraient s’orienter.
La confiance comporte deux dimensions, une
dimension sociale et une dimension économique. Elle repose sur la réputation et
la crédibilité. Examinons rapidement le sens de ces deux termes. La réputation
est en général le fait d’être honorablement connu du point de vue moral, pour
son honnêteté, pour sa loyauté, d’où, le rôle de l’éthique et de la dimension
sociale de la confiance. Par contre, la crédibilité est ce qui fait qu’on lui
reconnait une compétence, une expertise dans le domaine considéré, ce qui
correspond à la dimension proprement économique de la confiance.
S’agissant de la confiance dans la
monnaie, «elle se nourrit à des sources multiples les pratiques quotidiennes,
la vigilance des autorités de régulation, mais également le projet de société
qui est proposé aux citoyens. La confiance est perceptible concrètement aux
niveaux hiérarchique, méthodique et éthique».
La «confiance hiérarchique» est
directement liée à l’autorité, l’Etat en général, et la Banque centrale, en
particulier. Cette confiance est rendue présente par les gestes de protection
de l’autorité monétaire à l’endroit du système de paiement. La «confiance
méthodique» résulte de la répétition réussie des transactions monétaires
quotidiennes. Quant à la «confiance éthique», elle procède de l’adhésion
sociale à la monnaie comme un «bien collectif» dont l’utilité s’accroît avec le
nombre de gens qui l’utilisent. Mais, c’est un bien collectif assez spécial
puisque son coût de détention représenté par la taxe d’inflation s’impose à
tous les utilisateurs. Gérer la monnaie dans l’intérêt général, c’est donc en
préserver la valeur d’usage.
L’érosion de la confiance dans toutes ses
dimensions a constitué l’élément moteur de la crise de la monnaie au Congo. La
confiance hiérarchique a été insidieusement entamée par le sevrage ou le faible
accès des banques commerciales à la monnaie émise par la Banque centrale, qui
constitue le socle même de tout système de paiement. Comme déjà indiqué haut,
pour qu’une dette soit réglée par chèque bancaire entre deux personnes, il est
nécessaire qu’intervienne un moyen de paiement extérieur aux deux individus et
donc un ordre supérieur à une simple reconnaissance de dette. De même, pour que
les banques puissent régler leurs dettes réciproques, il est indispensable
qu’existe une Banque centrale. A l’indisponibilité croissante des réserves
libres des banques auprès de la Banque centrale, est venue s’ajouter une
trésorerie des banques tout aussi serrée. Par exemple, dans la première moitié
de la décennie 1990, le taux de couverture des dépôts par les encaisses dans
les banques commerciales est tombé de 7,2% en 1990 à 1,6% en 1995.
L’érosion de la confiance méthodique au
Congo a rencontré un terrain favorable dans le gonflement excessif des dépôts
bancaires nés de paiements effectués par l’Etat, en faveur de ses fournisseurs,
au moyen de virements non couverts en comptes bancaires. Cette perversion des
mécanismes de paiement plaça les banques commerciales dans l’incapacité
d’honorer les demandes de retraits de la part de leurs clients. Il s’ensuivit
une importante décote du chèque par rapport aux espèces dans les transactions.
La crise de liquidités dans le circuit bancaire affecta tant la confiance
hiérarchique que la confiance méthodique en pâtit. Contraintes par leur
trésorerie, les banques ont rationné les montants des retraits sollicités par
les clients sur leurs comptes.
La confiance éthique est la plus
importante des trois niveaux de confiance, car c’est elle qui peut borner
l’action de l’autorité politique sur la monnaie. Hélas ! Cette confiance fut à
son tour irrémédiablement entamée du fait de l’expansion fulgurante de la masse
monétaire, impulsée essentiellement par le financement des déficits publics.
Par conséquent, la valeur de la monnaie nationale s’effondra avec l’éclatement
subséquent de l’hyperinflation.
Extrait de l’article «Pouvoir et argent :
la crise de la monnaie revisitée en RD Congo», Kabuya Kalala François et
Tshiunza Mbiye Omer, Congo-Afrique, Décembre 2011
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